A. Un outil

1. Quelles sont les origines ?

Le mot scénario usité de nos jours, s’emploie dans des domaines autres que le théâtre et le cinéma. Il l’est régulièrement par la presse, il n’est un journal télévisé où le présentateur n’en fasse usage, la politique, les sciences, l’histoire, l’économie, la vie sociale,… Il puise ses racines dans le domaine exclusif du théâtre, donc : du spectacle. “ Le mot scénario vient de l’italien scénario, qui dérive du terme latin scænarium, désignant la scène d’un théâtre au sens architectural d’espace scénique. ”. Il faut attendre 1907, pour que le terme scénario soit pour la première fois prononcé en France par Georges MELIES. Aujourd’hui, le scénario est le document écrit architecturant spécifiquement et progressivement une histoire au but de sa finalité de représentation. En règle générale le mot scénario reste invariablement associé de nos jours au cinéma.

Une exception ? non, George Roy HILL le metteur en scène de BUTCH CASSIDY ET LE KID, raconte qu’il fut séduit dès la première lecture du scénario de GOLDMAN et « j’ai eu très envie de faire le film ; par ailleurs je connaissais bien GOLDMAN. Il avait travaillé pendant six ans à ce script… »

2. Le temps de l’écriture d’un scénario.

C’est un travail généralement long. Oui mais long comment ? Une semaine ? Des semaines ? Des mois ? Non ! pas des années tout de même ? Comme aurait pu le dire un célèbre humoriste « un certain temps« , mais l’on se doit de rajouter, long. Voyons plutôt ce qu’en dit un scénariste comme Jacques AUDIARD héritier de l’école d’un père qui n’avait pas particulièrement la réputation de traîner à l’écriture. “ Lorsque je signe un contrat, je suis persuadé que cela me prendra deux mois et pas un jour de plus. Mais en général, l’écriture s’échelonne de six mois à un an. C’est horriblement long, solitaire et très fatiguant. ”.

Pour son film LE PROPHÈTE, d’après un srcipt existant Jacques AUDIARD et son collaborateur Thomas BIDEGAIN, le travail de « peaufinage » du scénario a duré trois ans. Il y a parfois, rarement est‑il bon de le souligner, des temps d’écriture qui relève de l’urgence. Ce fut le cas pour BUFFET FROID, écrit, nous dit l’auteur “ en deux mois ”, mais Bertrand BLIER se reprend : “ En général il me faut à peu près six mois pour en venir à bout. ”. Certains feront remarquer que dans le cas de Bertrand BLIER, l’auteur du scénario est aussi le metteur en scène du film. Ceci expliquant peut‑être cela ? Non, puisque Jean CURTELIN, l’auteur du scénario de DUPONT LA JOIE, l’a été écrit en “ un mois, en travaillant six à huit heures par jours ” .

Mieux encore, six jours. Durée qui semble être une règle puisque pour son premier film parlant ON PURGE BEBE, RENOIR décline le chiffre six, “ J’ai écrit le scénario en six jours, j’ai tourné le film en six jours, j’ai fait le montage en six jours, et, six jours après, il passait au Gaumont Palace et, à la fin de la première semaine, de six jours, il avait déjà remporté des bénéfices. ”Il est vrai que le film ne fait que… 1700 mètres. Gérard BRACH, le scénariste attitré de Roman POLANSKI, semble être le détenteur du record de fulgurance dans l’écriture avec WONDER WALL, qui fut “ écrit en trois jours et quatre nuits. ”. Nous devons considérer ces temps d’écriture comme des exceptions, en règle générale la durée de l’écriture est en moyenne d’une année comme le souligne l’excellent scénariste et réalisateur italien Ettore SCOLA à propos de son film adapté de la pièce de théâtre éponyme LE BAL. Certains n’ont même pas cette vélocité classique d’un an pour l’écriture de leur scénario.

                            Ettore Scola

Ils leur faut du temps pour que mûrisse l’idée du film qu’ils ont décidé de faire. Pour Éric ROHMER, cinéaste de la parole, « Il me faut plusieurs années pour écrire un scénario. ».

Six jours pour RENOIR, six ans pour GOLDMAN. On comprend que George Roy HILL, soit intéressé par le peaufinage, le polissage, la perfection d’un tel scénario, élaboré pendant tout ce temps. D’autres à l’exemple de Jean GRUAULT, mènent plusieurs scénarios de front, on accepte peut être mieux alors que le temps de gestation soit si long.« Le travail s’étend sur des années, jusqu’à sept ans pour L’HISTOIRE D’ADÈLE H »

Oublions le dogme et la polémique, acceptons avec tolérance cette réalité. Certains scénarios demandent un énorme travail de préparation et de conception, surtout lorsqu’ils sont élaborés pour des metteurs en scène, qui ont le goût de la perfection comme Stanley KUBRICK. Ce fut le cas pour « 2001 : ODYSSEE DE L’ESPACE, qui exigea de lui et d’Arthur CLARK un travail colossal de 2400 heures sur le scénario. »

Que faut‑il conclure de tous ces exemples choisis dans la diversité des talents et des genres ?

Que bien évidemment entre les sept ans pour un scénario de Jean GRUAULT, et les quelques jours et nuits pour Gérard BRACH, il est hors de question d’en extraire une moyenne. Tous les scénaristes s’accordent à penser qu’entre la gestation de l’idée qui va germer dans un petit coin du cerveau de son auteur et le scénario terminé, éliminons de notre vocable l’impropre appellation de continuité dialoguée, il n’est pas exagéré de dire qu’une année au moins est nécessaire. Le reste n’est que particularités individuelles et exceptionnelles.

3. Vers un schéma du film à faire.

Le scénario est la simulation parfaite du film à faire.

Si l’on prend la durée de fabrication d’un film hors scénario, on se rend mieux compte de l’espace temps. Quelques mois de repérage, de préparation, quelques mois de tournage et de montage, quelques semaines de finitions, à terme pas très loin d’un an. Le scénario est en fait cette simulation au film. Une simulation qui se conçoit par tâtonnements constants, par stratifications pour que l’idée du projet se matérialise en une sorte de modèle réduit le plus fidèle à sa réalisation.

Le scénario est un terme générique.

Il convient à toutes formes de représentation que peut revêtir le développement d’un sujet au fil de traitements successifs jusqu’à l’étape finale appelée le scénario. Rien n’est laissé au hasard. Jean‑Claude CARRIÈRE le retranscrit à propos de Luis BUÑUEL : « ”Il faut toujours accepter le hasard dans la vie, et toujours le refuser dans les scénarios. »

Sous sa forme la plus accomplie, il tend à se présenter comme la simulation ou une sorte de maquette écrite du film tel qu’il doit être réalisé. Ce travail est avant toute chose la fabrication d’un outil bicéphale. Il détermine d’une part, le film à faire concrètement, c’est grâce à lui que l’on va pouvoir établir le coût estimatif du film à faire, et d’autre part, la représentation mise en page du projet artistique du film futur.

C’est un schéma, un modèle du film à réaliser. Jean‑Claude CARRIÈRE le définit poétiquement, « la chenille qui va devenir papillon », un objet privé : ” « destiné à être lu mais pas à être publié (…); ça n’a qu’une cinquantaine de lecteurs et chacun doit y trouver ce qu’il cherche, c’est un aide mémoire; l’acteur y cherchera son personnage, le directeur de production, le nombre de figurants, le style de décor, etc.; le chef opérateur y trouvera les indications de lumière, le distributeur, une histoire qui soit un argument de vente… »

C’est un schéma, un modèle du film à réaliser. Jean‑Claude CARRIÈRE le définit poétiquement, « la chenille qui va devenir papillon », un objet privé : « destiné à être lu mais pas à être publié (…); ça n’a qu’une cinquantaine de lecteurs et chacun doit y trouver ce qu’il cherche, c’est un aide mémoire; l’acteur y cherchera son personnage, le directeur de production, le nombre de figurants, le style de décor, etc.; le chef opérateur y trouvera les indications de lumière, le distributeur, une histoire qui soit un argument de vente… »

4. Le découpage technique.

Le travail du scénariste ne comprend nullement le découpage technique. C’est le point de départ de la mise en scène du film.

Le scénario est « découpé » plan par plan. Les plans sont numérotés et porteurs d’indications destinées au tournage et la mise en scène : valeurs des plans (plan général, plan d’ensemble, plan moyen, plan taille, gros plan, plan rapproché, très gros plan, etc.), angles de prise de vue (frontal, latéral, plongée, contre plongée, etc.), mouvement de caméra (panoramiques, travellings, caméra épaule, grue, louma, etc.…), mouvements optiques (zooms avant ou arrière), ponctuations visuelles (fondus  : fondus au noir ou au blanc, ouvertures avec effets, fondus enchaînés, etc.), objectifs utilisés et effets (focales, filtres spéciaux, etc.).

Il fut un temps pas si éloigné où le travail de dessins plan par plan appartenait au décorateur. La conception des décors ce matérialisait par la valeur de plan et de l’optique choisis par le metteur en scène.

Ainsi on peut le constater en visionnant un film comme le chef-d’œuvre de Claude AUTANT-LARA LA TRAVERSÉE DE PARIS, entièrement tourné dans les studios de Joinville, décoré par le célèbre décorateur Mac DOUY.

L’arbre

Ce découpage est souvent complété par un storyboard. Ce dernier en est la représentation illustrée de chaque plan par des dessins plus ou moins sommaires pouvant êtres assimilés à la bande dessinée.

Les «storyboards» sont obligatoirement employés dans les films à effet spéciaux et les films publicitaires. Ridley SCOTT maître du genre, va utiliser le procédé pour réaliser son premier film LES DUELLISTES

                               L’arbre

Beaucoup de films hollywoodiens sont depuis longtemps storyboardés. Le cinéaste Roman POLANSKI demandait aux cinéastes animations Paul et Gaétan BRIZZI de concevoir le storyboard de ses scénarios. Un film comme DELICATESSEN a été totalement et minutieusement storyboardé par ses auteurs CARO et Jean Pierre JEUNET.

Le scénario passe successivement par différentes phases, dont les deux principales et distinctes sont l’invention de l’histoire, que Jean‑Loup DABADIE nomme « le travail debout » et l’élaboration du récit, qu’il nomme par opposition « le travail assis ». Bertrand BLIER les définit comme « (…) deux écritures. La première est très libre, un peu littéraire, et la deuxième est plus découpée, plus technique, comme une sorte de montage idéal… »

                            Les duellistes

Il arrive toutefois, que lors du travail sur le scénario avec un metteur en scène, ce dernier évoque et élabore déjà son découpage technique. « Georges CLOUZOT, quand nous discutions du scénario, imaginait déjà les angles de prise de vues, l’endroit où il placerait son objectif. Le décor naissait ainsi du découpage. Aujourd’hui, les jeunes metteurs en scène construisent – ou découvrent – le décor d’abord. Ils travaillent ensuite, en l’utilisant comme support de leur imagination. Les méthodes varient. AUTANT‑LARA, le metteur en scène du DIABLE AU CORPS, écrit deux découpages : un découpage pour les acteurs, avec les dialogues, l’emplacement des comédiens. Et un découpage technique, plan par plan, où tout est prévu : changements d’objectifs, éclairages, longueur exacte des travellings, au centimètre près. René CLAIR  pousse aussi très loin le détail de ses découpages. (…) Le metteur en scène, débarrassé des soucis techniques, peut prêter toute son attention au jeu des comédiens. »

Certains voient dans la minutieuse préparation du découpage technique le risque d’enfermer le metteur en scène dans un carcan trop rigide à la réalisation, n’y laissant plus ou trop peu de place à l’inspiration, au génie. C’est faire fi des plus grands chefs‑d’œuvre de l’histoire du cinéma, qui furent conçus de la sorte. Un découpage doit au contraire être bien préparé. Il laisse alors au metteur en scène une plus grande disponibilité de création à la réalisation et à sa mise en scène.

5. Comment définir un scénario ?

C’est peut‑être Jean‑Loup DABADIE qui apporte la plus concise mais la plus éloquente et juste définition du scénario lorsqu’il déclare :  « Le scénario, c’est une histoire que l’on raconte avec les yeux.»

C’est ce qui différencie catégoriquement le roman du scénario, la littérature du cinéma.

L’un des buts essentiels du roman est d’être générateur et évocateur d’images mentales relatives à la culture, à la mémoire, à l’éducation, au vécu du lecteur. Le scénario, à l’inverse, impose des images et du son que le film donnera à voir et à entendre au spectateur.


C’est pour cela que le scénario n’est pas un objet de séduction pour le lecteur profane habitué à la lecture de roman. Aussi comme le souligne Jean HERMAN auteur de romans et de scénarios  : « Je crois qu’en réalité un bon scénario est assez ennuyeux à lire : il faut que ce soit touffu, si on veut donner une impression juste de l’épaisseur des personnages, de leurs déplacements. Mais il est vrai que très peu de gens savent lire un scénario; ils veulent un produit tout mâché alors que le scénario est une proposition en lointain différé. »

Il n’est pas une œuvre d’art nous fait remarquer Pascal BONITZER : « En soi, il n’a pas d’existence artistique. C’est un moyen, une base de travail pour le metteur en scène. (…) Ce n’est qu’une étape en vue du résultat final, le film réalisé, et en droit il n’y a pas de raison que l’on considère le scénario, aussi parfait, aussi génial soit‑il, comme une œuvre d’art à part entière… »

S’il n’y a pas lieu de considérer le scénario comme une œuvre artistique à part entière, il ne faut pas le considérer comme un produit vide de réflexion, sorte de catalogue sans âme assimilable à un recueil contenant les horaires des trains, merveilleusement mis en page. Ainsi cette anecdote d’Hollywood que raconte John FORD : « le scénariste arrive avec son script. Le truc le plus beau qu’on ait jamais vu, relié en cuir marocain. En haut de la couverture, il y avait marqué « THREE GODFATHERS » (« LES HOMMES MARQUES ») en petites lettres et le nom du gars en énormes caractères. Dedans, la présentation était superbe : le scénario avec les dialogues et l’enchaînement des scènes se trouvait à droite, les indications de mise en scène à gauche. « Bon monsieur le metteur en scène, je ne veux pas ceci, je ne veux pas cela. » Magnifique. Sauf que ce n’était pas « THREE GODFATHERS ». Ça n’avait même rien à voir avec. Le producteur exécutif faisait le tour des studios en disant : Mais le film était bel et bien sorti. Ils ont fait au gars un contrat de 1 000 dollars par semaine et il n’a jamais plus rien écrit. On a fini par savoir qu’il vendait des contrats d’assurances. Il n’avait jamais écrit un mot de sa vie; tout ce qu’il savait faire, c’était des belles mises en pages ! »

Si le scénario dont nous parle John FORD avait été un bon scénario, avec un tel souci de la présentation, il méritait à juste titre la considération de cet infortuné producteur exécutif hollywoodien.

La présentation d’un scénario est loin d’être négligeable.

Trop de scénarios mal présentés et fourmillant de fautes d’orthographe, sont pénalisés. Il est fâcheux d’investir autant de son temps et de son énergie pour ne pas soigner le plus élémentaire.

Le scénario se détermine aussi par son absence, par sa médiocrité.  En France nous savons qu’un bon film n’est pas réalisable avec un mauvais scénario. Les américains savent qu’un bon scénario, s’il ne fait pas obligatoirement un excellent film, ne fait jamais un mauvais film. C’est la règle qu’ils ne cessent d’appliquer, comme le souligne le scénariste italien Ennio FLAIANO : « L’importance du scénario dans le film va de pair avec l’importance du film lui‑même. Et j’ajoute : d’un bon scénario, peut sortir un film excellent, bon ou médiocre, mais jamais un film mauvais.… de fait nous voyons tous les jours de très bons acteurs et de très bons réalisateurs échouer avec un mauvais scénario, signe évident que le public est plus intelligent que le prétendu savoir‑faire. » 

Le public : l’angoisse des producteurs, distributeurs et exploitants.

Le cinéma est fait pour être vu, sans le public le cinéma n’existe plus. Mais cette notion de plaire au public est trop souvent un alibi de recette grotesque. Gérard BRACH s’en indigne : « … c’est le début de la catastrophe; si vous faites quelque chose pour plaire, ça ne veut plus rien dire, il faut le faire et puis si ça plaît, tant mieux. (…) J’ai travaillé avec des dégoûtants qui pensaient au public, surtout au fric qu’il a dans sa poche. »

6. Le scénario, instrument obligé.

Un scénario nous dit Paul SCHRADER, est la meilleure carte de visite pour le débutant scénariste.

Ce fut sa propre expérience : « Ce scénario pour moi (P. SCHRADER parle de son premier scénario « PIPELINER » qui n’a jamais été porté à l’écran) c’était une sorte de carte de visite. C’était une excellente carte de visite, en fait. » C’est à partir de ce scénario que Paul SCHRADER, va débuter sa carrière de scénariste. Rare pour un premier scénario, mais ce dernier était conçu dans la rigueur technique la plus stricte. SCHRADER avait appliqué à la lettre lors de sa conception les règles en vigueur à Hollywood, en particulier la règle du paradigme que nous verrons ultérieurement. Il démontre dès son premier script qu’il sait écrire selon les normes en place. Son savoir‑faire reconnu, il enchaîne sur d’autres scénarios et passe plus tard à la mise en scène.

Aux États-Unis, le scénario apparaît de tout temps comme l’objet fondamental du cinéma : « J’estime que la rédaction du scénario est la partie la plus importante du film, la plus décisive. Dans la genèse d’un film, ni la distribution, ni le tournage, ni le montage ne sont aussi importants que l’instant où l’on se décide pour un sujet. L’étincelle initiale est le moment essentiel. Lorsqu’on l’a, et qu’en plus elle est bonne, plus rien ne peut être complétement raté. Pour la bonne raison qu’en règle générale on ne devient pas du jour au lendemain un idiot complet qui ne sait plus du tout comment on fait un film. »

Il n’en est pas tout à fait de même en France s’étonne Gérard BRACH : « Dans l’absolu, ce dont on a le plus besoin, c’est du scénario. Tant qu’on n’en a pas, on ne peut pas mettre sur pied une production. C’est donc très important puisque c’est par là qu’on commence; paradoxalement, c’est une des choses les moins bien considérées. »

Il n’y a pas que les scénaristes qui parlent de la sorte chez nous. On ne compte plus les alertes des grands acteurs et des grands metteurs en scène en faveur du scénario, à l’exemple de Luis BUÑUEL : « Je crois que rien n’est plus important dans la fabrication d’un film qu’un bon scénario, je n’ai jamais été un homme d’écriture. Pour presque tous mes films (sauf quatre) j’ai eu besoin d’un écrivain, d’un scénariste, pour m’aider à mettre noir sur blanc l’histoire et les dialogues. »

De l’importance d’un scénario bien écrit. Yves BOISSET qui se trouvait à Cannes lors du Festival en 1975 avec sa productrice Catherine WINTER n’avait encore trouvé le comédien pour interpréter vieil homme conducteur du fameux taxi de son futur film : UN TAXI MAUVE. C’est en se promenant sur la Croisette qu’il aperçu la silhouette d’un homme, certes âgé mais à l’allure qui lui faisait songer à un danseur. Accostant le vieil homme en question il reconnu le danseur légendaire Fred ASTAIRE. Yves BOISSET avait enfin trouvé son acteur pour le rôle. Discussions avec le danseur qui refusa la proposition de Yves BOISSET faisant valoir son âge quatre-vingts ans, mais par politesse ou curiosité accepta de lire le scénario dans l’avion qui le ramenait aux États-Unis. Trois jours plus tard, un coup de téléphone venant d’Hollywood de Fred ASTAIRE lui signifiait qu’il acceptait le rôle et que l’argent n’était pas un problème. Le scénario que le danseur avait lu, avait fait son effet de séduction sur le célèbre danseur.

Même certains metteurs en scène « récalcitrants », à l’instar de Olivier ASSAYAS issu des Cahiers du Cinéma et scénariste de André TECHINE, s’accordent à penser que : « L’écriture n’est pas une description plate. Elle doit rendre l’atmosphère, le rythme du film, mais avec le plus d’économie possible et en vue du tournage uniquement. Il me faut fixer avec la plus grande concision tous les éléments que je vais devoir retrouver et mettre sur la pellicule au moment du tournage. Et cela vaut aussi pour tous les collaborateurs : le scénario est un outil pour toute l’équipe, chacun doit y trouver des pistes pour son travail. Il est primordial que tout soit fixé à l’écriture, puisque dans le meilleur des cas le tournage a lieu deux mois après. A ce moment‑là, je n’ai plus obligatoirement tous les éléments à l’esprit, ou du moins plus aussi clairement. »

S’il est reconnu par tous indispensable et essentiel, tous ne lui accordent pas la même importance. Et pourtant, il reste l’élément créatif cinématographique le plus complexe à réaliser. « L’écriture du scénario est la chose la plus difficile. On a tendance à surestimer le tournage et à sous‑estimer l’écriture. Il est beaucoup plus difficile de faire le plan d’un immeuble que de le construire. » Estime lucidement le jeune metteur en scène John SINGLETON à propos de son film BOYZ’N’THE HOOD.

Le cas Claude SAUTET.

Pendant plusieurs décennies, il était l’homme incontournable du scénario français. Tout en étant metteur en scène, il n’en continuait pas moins d’être, selon sa propre expression « le rapiéceur » de scénarios du cinéma français. « GABIN l’appelait pour lui dire : « Claude, le scénario ne va pas mal, mais il manque le dessert. » Souvent SAUTET achevait un scénario, il ne l’écrivait pas. Il donnait des idées de scènes. Il jouait un rôle très important au moment de la vision en double bande. Outre l’écriture de scènes, il contribuait quelquefois à modifier jusqu’au montage : c’est arrivé avec François TRUFFAUT qui lui montrait tous ses films. Combien de films doivent leur succès à Claude SAUTET, ce que nul générique n’indique… » .

A côté de SAUTET, nous devons mentionner deux autres célèbres script‑doctoring comme les appellent les américains, Francis VEBER et Jacques AUDIARD qui « a fait quinze pour cent de sa carrière sur des films qu’il n’a pas signés. »

Le scénario est l’outil de travail obligé du film.

Un terme qu’il ne faut jamais oublier, dès que l’on pense scénario. Comme aimait à le « prêcher » avec sa verve et son humour, Henri JEANSON : « En vérité, je vous le dis, le destin du cinéma est dans les encriers. »

7. Sont-ils tous portés à l’écran ?

Le profane serait enclin à penser oui. Mais il n’en est rien !

Une idée qui semble bonne au moment où elle naît dans la tête d’un producteur, n’aura plus le même d’intérêt une fois le scénario terminé. C’est‑à‑dire un ou deux ans après. D’autres films ont pu reprendre par (hasard) l’idée.

Le thème qu’elle développe n’a plus le même attrait du fait des modifications sociales survenues entre temps.

Longtemps, le thème du scénario d’espionnage entraînait invariable le choc des deux blocs politiques Est/Ouest. De nos jours ce thème est obsolète. Il arrive qu’à la demande du producteur, le scénariste articule son scénario autour d’une vedette. Il suffit que la vedette refuse ou ne soit pas libre, pour que le scénario reste sur les étagères. En fait, les causes sont aussi multiples que diverses. « Parmi les grands scénaristes, chacun à partir d’un certain âge a des dizaines de scénarios qui n’ont jamais vu le jour et ne le verront jamais. »

Le cinéma américain n’échappe pas à cette règle souligne le scénariste Wesley STRICK auteur du remake réalisé par Martin SCORSESE LES NERFS À VIF, « la plupart des scénarios que l’on commande à Hollywood ne sont jamais tournés. En tout cas une large majorité d’entre eux. Au moins 90%… »  

C’est aussi le cas pour des scénaristes attachés à une maison de production, nous fait remarquer Bruno TARDON : « Je pense que les intournés représentent la loi du genre dans la profession. Il y a toujours toutes les raisons du monde pour qu’un film ne se fasse pas. De 83 à 89, j’ai travaillé essentiellement pour FECHNER. J’ai écrit dix‑neuf scénarios, dix‑huit ont été approuvés, et un seul a été tourné : LES SPECIALISTES. »

Des envies qui n’aboutissent pas. « Un jour, CHRISTIAN-JAQUE me dit : «  J’ai envie de faire un film sur Israël, allons voir sur place. » J’y vais, je reste six mois avec lui à me documenter sur le pays, sur les kibboutz, nous nous mettons dans le bain, nous vivons avec les gens, c’est fatiguant, passionnant. Hélas, le film, en définitive, n’a pas été tourné. Une autre fois, poursuit Jean FERRY, j’ai passé six mois avec Georges CLOUZOT sur un film, PLAISIR D’AMOUR, auquel le producteur a renoncé. Pourquoi ? Sans doute a‑t‑il trouvé le film trop méchant, ou trop en avance sur son époque, avec la technique raffinée de retour en arrière et du commentaire en voix « off. »

Les thèmes au cinéma sont cycliques. A l’heure actuelle le polar français n’a plus cours à cause de la télévision disent certains qui se précipitent dans les salles de cinéma voir les thrillers/polars américains, un genre de plus que le cinéma français est peut‑être en train de céder définitivement aux américains… Il se peut aussi que dans quelques années le cycle renaisse. La grande période du polar français trouve son apogée dans les années  cinquante. Elle se calme ensuite, à l’exception des lettres de noblesse que lui apporte Jean‑Pierre MELVILLE, sans oublier d’y glisser celles d’Alain CORNEAU dans les années 70. Le genre s’éteint pour renaître de ses cendres dans les années 80 avec LA BALANCE, énorme succès commercial et César du meilleur film la même année. Cela suffit à relancer temporairement le genre.

8.Scénario leurres.

Le scénario est toujours un leurre puisque sa lecture provoque le désir au film. Il attire l’argent dont le producteur a besoin pour le monter. Il séduit les comédiens avec ses personnages et pour finir le metteur en scène. Ça nous le savions déjà, et ne pouvions l’associer à une forme d’appât.

Il peut devenir un authentique leurre connu et accepté en tant que tel. Certains producteurs américains (et sûrement français) ont poussé plus loin ce système de leurre nous fait savoir le scénariste américain Gore VIDAL, à propos d’un producteur Ray STARK particulièrement habile pour attirer à lui stars et argent : « Il était mon assistant. Il travaillait pour Ray STARK. C’était un garçon de bureau qui voulait faire des films. Il pouvait écrire un scénario en une semaine. Ce que faisait Ray STARK par exemple, c’était d’aller voir Carson Mac CULLERS, lui donner cinq cents dollars contre une option pour REFLETS DANS UN ŒIL D’OR et demander à Francis (COPPOLA) d’écrire un scénario pendant le week‑end. Puis, il aller voir HUSTON et lui disait : » On a les droits sur le roman, ce scénario écrit par le gosse de bureau est très mauvais mais GORE va en écrire un autre. Je pense aussi qu’on peut avoir BRANDO dans le rôle principal. » Puis il aller voir BRANDO et lui disait que HUSTON voulait mettre en scène le film. Il obtenait ainsi l’accord de tout le monde. C’était aussi la méthode de SPIEGEL. Le boulot de Francis, c’était d’écrire ces scénarios‑leurres pour STARK qui prétendait les arranger plus tard. »

Le phénomène dans son principe est largement en vigueur dans le système français, même s’il n’est pas aussi pervers. Quelques producteurs montent des coups sans lire les scénarios. Ils montent des films en « mariant » metteurs en scène et comédiens sur un scénario inexistant au départ.

9. Un objet de l’essentiel.

Comme l’artisan œuvre dans son domaine, le scénariste fait de même avec son scénario. « Tout le monde peut écrire un scénario. », oui, mais sûrement pas dans l’esprit de la formulation iconoclaste d’un François TRUFFAUT, mais dans celui de l’hypothèse artisanale.

Le travail du scénariste est un savoir qui s’acquiert et se bonifie avec le temps. Il n’est pas une œuvre définitive, mais un outil au service des autres maillons de la chaîne de fabrication du film. Certains affirment, tel l’audacieux scénariste Yves MIRANDE qui ne cachait à personne : « un certain mépris de la mise en scène qui lui semblait une activité subalterne, par rapport à l’écriture du scénario et des dialogues. » et qui concluait : « Une fois sur dix, un film est terminé sur son scénario, son dialogue et son découpage. »

Aussi perfectible soit‑il, il n’est pas une œuvre définitive. « Le paradoxe du scénario, c’est que c’est un objet écrit, mais que de tous les objets écrits, c’est celui qui a le moins de lecteurs »

Gardons en mémoire cette réalité exprimée par Jean‑Claude CARRIÈRE, qui a la vertu de ramener le scénario à sa valeur d’objet utile. Si le talent échappe au système du savoir, l’artisanat s’acquiert dans la passion. « J’ai une véritable passion artisanale. N’étant pas née poète, rien ne me séduit autant que la fabrication d’un objet. »

L’objet étant le scénario pour la scénariste de Luchino VISCONTI, Suso CECCHI d’AMICO. Objet toujours différent, car « non seulement le travail a toujours été radicalement différent, mais la genèse de l’histoire diffère fortement d’un film à l’autre » s’enthousiasme à juste titre Jean GRUAULT. Comme pour tout artisanat, il faut savoir recommencer son objet, mettre son orgueil en retrait, ne pas croire à l’instantanéité de l’œuvre. « Le grand défaut de ceux qui débutent, c’est qu’ils souffrent de recommencer, ils se découragent très vite, et ils considèrent toute remarque comme une attaque personnelle, le moi saigne. » 

Les plus grands metteurs en scène, à commencer par Howard HAWKS, sont toujours allés vers la simplification, (et non le simpliste), dans la conception de l’écriture du scénario. Ce que souligne TRUFFAUT, au travers des films d’HITCHCOCK, face à leur travail de « purification » débarrassés des scories inutiles qui encombrent trop souvent l’œuvre. « Monsieur HITCHCOCK, il me semble que, dès le début de votre carrière, (demande TRUFFAUT), vous avez été animé par la volonté de ne filmer que des choses qui vous inspiraient visuellement et vous intéressaient dramatiquement. Vous avez employé parfois au cours de nos entretiens deux expressions révélatrices : « Charger d’émotion » et « remplir la tapisserie ». A force d’éliminer des scénarios ce que vous appelez les « trous dramatiques » ou les « taches d’ennui », procédant par élimination continuelle à la manière dont on filtre plusieurs fois un liquide afin de le purifier, vous vous êtes constitué un matériel dramatique bien à vous. A force d’améliorer ce matériel vous êtes arrivé, volontairement ou non, à lui exprimer des idées personnelles qui sont venues en supplément à l’action, en surimpression… »

Le défaut majeur des jeunes scénaristes est de vouloir trop en mettre. Il leur suffit de voir vers quoi tendent les bons scénaristes au fur et à mesure de leur carrière, pour se rendre compte que ce défaut est inversement proportionnel à l’expérience, comme en témoigne Daniel BOULANGER « Ce qu’il y a de bon dans le cinéma – quand c’est du bon cinéma – est justement cette coupe d’intermédiaire. On ne garde que l’essentiel. Le meilleur moment dans l’écriture d’un scénario, c’est quand on passe d’une scène à l’autre en mettant « coupe »; « coupe »; « coupe »; ça passe, ça file et c’est ça qui est formidable. Le progrès, c’est l’épuration d’un gag. »

Devenir, être un artisan, oui, mais un artisan expert en scénario, ce qui démontre la spécificité de cette écriture comme le démontre cette réflexion d’HITCHCOCK à TRUFFAUT : « La troisième erreur a été de faire appel, toujours pour l’élaboration du script UNDER CAPRICORN, à James BRIDIE, auteur de pièces semi‑intellectuelles, un homme qui n’est pas réellement un artisan expert. Repensant à tout cela plus tard, je me suis rendu compte que BRIDIE est un auteur qui réussit des excellents premiers et deuxième actes mais qui ne parvient jamais à terminer ses pièces. Je me souviens d’un point du scénario que nous discutions; le mari et la femme sont se séparés après une dispute terrible et je demande à BRIDIE : « Comment va‑t‑on les réconcilier ? Oh ! Eh bien ils vont se faire des excuses et dire : j’ai eu tort et je vous prie de m’excuser ! »  

HITCHCOCK, tient à nous démontrer qu’il y a bien une énorme différence entre les techniques d’écriture. A commencer par celle des auteurs dramatiques qui s’embourbent régulièrement dans la technique scénaristique de l’adaptation. Attitude absurde que l’on retrouve régulièrement auprès du romancier scénarisant son propre roman. Sait‑il, ce romancier, combien va coûter à la production une simple phrase comme : « Vingt cinq galions entrent dans le port de Saint Malo ? »

10. Indispensable outil du budget d’un film.

Un scénariste doit connaître le prix d’une simple phrase.

C’est à la lecture du scénario que le budget dit estimatif d’un film est calculé par le directeur de production. Ce devis prévisionnel, calculé, hors casting, permet évaluer à 10% prés (on dit à la louche dans le milieu) le coût réel du film.

De nos jours, la crise de l’économie aggravant le phénomène, un scénariste doit savoir écrire en fonction du budget alloué au film : « (…) cela peut être dommageable, mais cela peut être enrichissant : quand on ne dispose pas de gros moyens, on est obligé de faire un effort d’imagination qu’on ne ferait probablement pas si on avait ces moyens. C’est en cherchant à s’exprimer avec les moyens qu’on a qu’on arrive à trouver un style » 

Pour Jean‑Claude CARRIÈRE, cette nouvelle forme de « censure économique » n’est pas un handicap à l’écriture. C’est même un excellent exercice de « purification » du scénario nous dit HITCHCOCK, plus haut. Trop de débutants, ne maîtrisent pas le coût de ce qu’ils écrivent, et voient leurs scénarios rejetés par les productions pour cause de budget prohibitif. La scénariste et cinéaste Danièle THOMPSON le confirme : « Je crois qu’il est de plus en plus important aujourd’hui de maîtriser la production. Par exemple, pour LA REINE MARGOT, nous avons actuellement des discussions avec Patrice CHÉREAU qui ne sont pas à proprement parler d’écriture mais qui tiennent à la production : puisque le film est trop cher, on va couper trente millions dans le scénario en envisageant de modifier certaines scènes, en économisant des costumes… »

Si techniquement, tout ou presque est faisable à l’heure actuelle au cinéma, notons que la seule contrainte reste celle du coût. A Hollywood, certains scénaristes se sont spécialisés dans ce genre d’exercices. Le but de leur travail est de trouver les moyens de réduire les dépenses du film à faire. Sachez qu’un simple accident de voiture demande beaucoup de temps, plusieurs caméras et une cascade. Les animaux imposent des dresseurs, et une multitude de prises de vue (souvenez vous de la scène du petit chat et de la difficulté à lui faire boire son lait dans LA NUIT AMÉRICAINE. Une disparition de personnages ou une métamorphose, obligent des effets spéciaux. Tout ce qui est aérien ou sous‑marin entraîne des coûts élevés. Certains scénarios ne se sont pas réalisés parce qu’ils nécessitaient un trop grand nombre de scènes de tournages nocturnes.

Le scénario est indiscutablement la clef de voûte du coût prévisionnel du film. Sans lui, il est impossible de fixer correctement son budget. Plus un scénario est techniquement correct, plus il est facile d’en étudier le coût et de s’y tenir. Ce sont surtout les producteurs de télévision qui ont fort bien compris ce principe de base. Ils commencent à imposer des scénarios techniquement de qualité. Encore une fois la crise, due à la perversité du système, ne peut être jugulée que par un retour au principe même du respect bien admis de la « chaîne » de fabrication du produit audiovisuel.