G. Scénario fermé

« Pour moi, toute la construction d’un film a déjà été faite pendant l’élaboration du scénario » et HITCHCOCK rajoute à TRUFFAUT, « Je me vante toujours de ne jamais regarder un scénario pendant que je tourne un film. Je connais le film par cœur, complétement. J’ai toujours eu peur d’improviser sur le plateau parce que à ce moment là, si on trouve le temps d’avoir des idées, on ne trouve pas le temps d’examiner la qualité de ces idées. »

On ne trouvera pas plus authentique et scrupuleuse définition du scénario fermé.

Jean-Claude Carrière – Le journal d’une femme de chambre

C’est un outil de travail complet, indispensable et unique dont rien dans sa conception ne peut être laissé au hasard. Tullio PINELLI en témoigne, pour atteindre un tel résultat « il faut suer sang et eau ». C’est ainsi qu’il œuvrait avec le metteur en scène Pietro GERMI : « Le film était entièrement écrit « sur la table », décidé avec la plus grande précision avant le tournage. Lorsque le scénario était terminé, pour lui (Pietro GERMI) le film devait être ainsi, il ne changeait plus, mais avant de parvenir à un tel résultat il fallait suer sang et eau, avec des discussions acharnées et à surprises. »  

Tourner le scénario est la formule des metteurs en scène fidèles à cette forme de scénarios dite fermée. STURGES, LUBITSCH et WILDER ne l’entendaient pas autrement.

Alors à quoi sert le réalisateur ?

John FORD nous apporte la réponse sous forme de presque boutade à propos de QU’ELLE ÉTAIT VERTE MA VALLÉE « Philip DUNNE  a écrit le scénario et nous nous y sommes tenus. On a peut être rajouté quelques éléments par‑ci par là, mais c’est à ça que sert un metteur en scène. »

C’est l’outil parfait. Tout a déjà été envisagé. Tout est calculé. C’est le plan de l’architecte. Rien ne peut être laissé au hasard, tout est réglé en vue de la construction : « Quand on a l’impression que plus rien ne peut bouger : tout est serré, vissé, tout s’imbrique. (…) Mais en gros, on ne peut plus changer grand‑chose. C’est surtout vrai des films hollywoodiens : prenez les films de HAWKS, on a l’impression que tout est réglé au millimètre, qu’avec un mot de plus ou de moins, une image de plus ou de moins tout serait déséquilibré. »

Mais ce n’est pas semble croire Pascal BONITZER, l’apanage du cinéma hollywoodien. Le cinéma français détient aussi les disciples du genre, et même un maître en la matière : « Avec SAUTET, nous rapporte Jacques FIESCHI à propos de QUELQUES JOURS AVEC MOI (…). Le travail du scénario est extrêmement long, très élaboré, se joue à la ponctuation, à la virgule près. Le tournage suit étroitement le scénario, s’y réfère comme à un outil très sûr. La mise en scène est écrite entre les lignes, le déplacement des acteurs aussi, presque le montage. J’ai beaucoup appris avec lui : une précision descriptive, vétilleuse dans la formulation, une recherche artisanale de la belle ouvrage. »

Beaucoup de scénaristes et même de metteurs en scène sont reconnaissants à Claude SAUTET. Il n’est donc pas le seul à lui devoir l’apprentissage de l’outil scénario.

L’amour du texte écrit : une distinguée maladie contractée auprès d’un scénariste. Elle semble avoir touché le metteur en scène Barbet SCHROEDER : « Par l’écriture de Nick KAZAN (le scénariste de LE MYSTERE VON BULOW), qui ne mettait pas un mot de plus, mais mettait les mots justes et condensait tout d’une manière simple et extraordinaire, on avait un joyau. J’étais amoureux de chaque réplique, de chaque mot du scénario et je n’aurais pas laissé qui que ce soit couper le moindre mot. Si l’on veut retenir quelque chose de mon expérience américaine, on peut dire que je suis amoureux du texte. »

Il n’y a pas si longtemps, les scénarios étaient encore plus techniques dans leur présentation. Toutes les indications de mise en scène, les mouvements d’appareils, y étaient contenus et pouvaient apparaître : « (…) sous forme de découpage, plan par plan. D’ailleurs Michel DEVILLE et moi (Nina COMPANEEZ) nous opérions de cette façon : nous décrivions les mouvements d’appareil, indiquions les gros plans, etc.… Maintenant, j’écris l’histoire sans mentionner la technique, c’est beaucoup plus lisible; je décris brièvement le décor et je raconte ce qui se passe. Le découpage est ma petite cuisine à moi, il n’est pas dans le scénario. »

Le scénario est devenu beaucoup  moins détaillé. S’il est encore pour certains très écrit, le scénariste et cinéaste Jean‑Claude BRISSEAU observe qu’il correspond surtout à « équilibre » : « Mes scénarios sont toujours très écrits. Mais le scénario est un équilibre de mots. Ensuite il y a la réalité concrète qui constitue un autre équilibre, cette fois émotionnel et pratique; elle ne se présente jamais sous la forme prévue. Le montage sera encore un troisième équilibre. »

C’est de cet équilibre de mots dont dépend la qualité du scénario. Le scénario fermé a évolué et grâce à lui, le cinéma.