H. Scénario ouvert

C’est le scénario de la réflexion. Il laisse jusqu’au dernier moment la porte ouverte à l’événement. Il n’est pas un travail inachevé ou incomplet bien au contraire. Sa structure est précise et son orientation vers une mise en scène définitive est faite. Il a l’avantage de rester souple jusqu’au dernier moment de la réalisation pour le metteur en scène. Je vous renvoie à un extrait d’un entretien avec le cinéaste Abbas KIAROSTAMI à propos de sa conception du cinéma en général et de son film TEN en particulier  sur le DVD de TEN édité par MK2 Vidéo.

Abbas Kiarostami

C’est le scénario des auteurs‑réalisateurs, à l’exemple de Roberto ROSSELLINI : « Le scénario est un matériau souple qu’on peut transformer au cours du tournage, selon les lieux et les acteurs. »

Formule que reprend Thelma SCHOONMAKER, la monteuse de Martin SCORSESE, à propos des deux façons de travailler le scénario : « Chez lui, (Martin SCORSESE) le scénario n’est pas vraiment le reflet de ce qu’il va faire. Les films sont toujours plus complexes et plus profonds que les scénarios. Il y apporte des détails, une atmosphère. LES AFFRANCHIS est un scénario très «serré» parce qu’il y avait travaillé deux ans, et le livre avait déjà été écrit. Je crois que nous n’avons coupé qu’une scène à l’arrivée : celle où le petit garçon apprend à boire des expressos. Nous avons coupé beaucoup plus dans CASINO. Les recherches, la documentation, continuaient pendant le tournage. Ils ont changé beaucoup de choses pendant qu’ils filmaient. De nouveaux éléments, de nouvelles informations leur parvenaient et influençaient certaines scènes en les orientant dans de nouvelles directions. »

Louis MALLE, s’estime mal à l’aise dans le scénario fermé : « Je me suis peu à peu libéré de la tutelle étroite du scénario qui, après tout, n’est qu’un brouillon, un squelette sans chair, un vœu pieux. Tout y est, sauf l’essentiel. En travaillant avec les acteurs, on s’aperçoit de la raideur, de l’imperfection du texte écrit. Plutôt que de s’y accrocher, il faut ajuster, changer, couper, inverser… C’est bien sûr plus facile quand on travaille sur son propre texte ! »

Il tient à ce que le spectateur s’interroge, quitte sa passivité, et soit contraint de générer sa part de créativité face une fin ouverte : « J’aime que mes films soient des structures ouvertes, des propositions, des interrogations. Au spectateur de compléter les cases, de donner son point de vue. Un film qui fait l’unanimité a quelque chose de suspect. Je préfère l’autre extrême, que j’ai souvent observé, quand deux personnes, assises côte à côte dans la même salle, voient chacune un film différent. »

L’attitude du scénario ouvert de ROSSELLINI a été contestée par la scénariste Suso CECCI d’AMICO. Nous pouvons aussi nous interroger sur la réflexion de Louis MALLE lorsqu’il mentionne « l’étroitesse » du scénario et évoque le terme de « brouillon » à son encontre. Le scénario n’est en aucune manière l’œuvre définitive. Il est, répétons-le encore ne fois, l’outil au service de la réalisation du film. Un bon outil ne peut en aucun cas être un brouillon. Le terme même de brouillon mentionné par certains metteurs en scène à propos du scénario est une ineptie. Un scénario n’est pas un brouillon du film à faire, mis à part les mauvais scénarios.

L’apanage des scénarios ouverts se trouve dans le cinéma de Francesco ROSI. Sa méthode est de concevoir le scénario en le laissant ouvert au contact de la réalité, qui peut encore lui apporter des éléments nouveaux, en est le principe même.

« Le film (il s’agit de (L’AFFAIRE MATTEI) est bâti sur une structure ouverte, comme SALVATORE GIULIANO, et comme MAIN BASSE SUR LA VILLE, quoique dans ce dernier film j’ai travaillé plus longtemps sur la préparation du scénario. Pour GIULIANO et MATTEI, la matière était tellement vaste que je ne pouvais pas la structurer définitivement avant de tourner. »

Un parti pris, une méthode que Maurice PIALAT utilise, afin de provoquer la mise en scène de sa propre mise en scène : « PIALAT (à propos de POLICE), par exemple, tourne plus qu’on le croit la scène écrite. A de rares exceptions près, la scène est toujours rédigée, mais c’est vrai qu’il attend beaucoup des surprises, des incidents, des violences du tournage qui viennent décaler et enrichir la situation. Il a besoin de s’étonner lui‑même au filmage, autrement il s’ennuie. Il demande donc quelque chose d’écrit sans indication de jeu, sans colonne de gauche, un dialogue indicatif, un canevas, un livret de base, qui sera malmené mais à peu près respecté. »

Tout comme RENOIR qui se sert du scénario en tant que fil conducteur outil indispensable à la technique qui suivra, mais : « une fois sur le plateau, quand il faut tourner, je n’hésite pas à m’en écarter chaque fois que cela est nécessaire. (…) On n’exécute pas un scénario, on l’improvise au fur et à mesure. »

C’est le credo de grands cinéastes américains. John FORD, fervent pratiquant du scénario fermé, se laisse séduire par la possibilité d’ouverture qu’il se propose d’utiliser : « le scénario a nécessité beaucoup de préparation. On a très soigneusement élaboré l’histoire, mais de telle manière qu’on puisse quand même y placer des scènes comiques si l’occasion se présentait. »

Le scénario ouvert est une particularité du scénario fermé. Il est déconseillé au jeune scénariste de l’utiliser avant de jouir de la maîtrise du scénario fermé.