F. Scénario sur commande

Le scénario de commande, d’inspiration toute hollywoodienne, est la résultante heureuse, d’une volonté de film entre producteur et scénariste.

Le metteur en scène fut le dernier intégré dans ce duo créatif. A telle enseigne que certains réalisateurs hollywoodiens, et non des moindres, arrivaient sur le plateau sans avoir pris connaissance du scénario : « A cette époque (1927), vous alliez vous coucher et le lendemain matin, très tôt, vous receviez un coup de téléphone et hop ! vous vous trouviez avec un nouveau film sur les bras. Vous demandiez : « Comment s’appelle‑t‑il ? » Réponse : « On ne sait pas, mais soyez là à sept heures. » Vous ne saviez fichtre rien de ce que vous alliez faire… Le comble, c’est qu’il arrivait aux studios de voler le film. Une fois, je suis arrivé sur le plateau à sept heures du matin. Il y avait plein d’acteurs que je ne connaissais pas, dont un gars qui avait une scène dans laquelle il devait embrasser une fille. On a commencé et j’ai dit au type :  Et l’acteur de me répondre : « Si tu dois l’embrasser, embrasse‑la vraiment. Sur la bouche. Tiens‑la dans tes bras. » Et l’autre de me répondre : « Mais monsieur FORD, elle est censée être ma fille ! » J’ai fait : « Oh ! Quelqu’un a le scénario ici ? Que je vois un peu… » Après ça, j’ai toujours essayé de lire les scénarios. »

Hollywood a toujours favorisé des rapports privilégiés entre scénariste et producteur : « La M.G.M. était le meilleur studio du monde pour ce qui était de faire écrire un scénario et de le fournir à un réalisateur. »

De nos jours le metteur en scène est venu s’intégrer à cette stratégie. La France elle aussi a connu sa période faste des relations privilégiées producteurs, scénaristes et réalisateurs, période consacrée, dite de « la qualité française », des années 40/50. Depuis cette époque le scénario de commande est devenu un objet de concertation commune.

La France est le pays où la demande spontanée en scénarios n’existe pas concrètement. Nous l’avons déjà établi : un scénariste qui cherche à vendre son scénario ne trouve aucun système, aucun marché, structurés. Aux États-Unis, l’existence d’un marché du scénario permet au débutant d’écrire dans la spontanéité et de pouvoir proposer son produit à la demande. Même si le scénario n’est pas tourné, il est lu et peut devenir comme le souligne Paul SCHRADER, à propos de son premier script jamais tourné PIPELINER, une « carte de visite»». C’est aussi ce qu’exprime sans affliction, le scénariste David RAYFIEL : « Le destin veut que mes scénarios originaux ne soient jamais réalisés. Alors je travaille sur le matériau des autres ! » 

Comme la plupart des scénaristes de ce côté là de l’atlantique, il fait fi de cette notion d’auteur devenue dogmatique chez nous.

Cette notion de commande de scénarios se retrouve à la télévision, ce qui fait dire à Pierre COLIN : « Je n’ai jamais écrit de scénarios sans en avoir la commande. Rien ne m’agace comme d’écrire dans le vide. Je ne vois pas pourquoi j’écrirais un scénario complet si je ne suis pas sûr qu’il soit tourné. »

La commande a d’autre part l’avantage de précipiter la mise en œuvre d’un scénario : « Ce qu’il leur fallait (POLANSKI parle des producteurs), c’était un film d’horreur. De retour à Paris, Gérard (BRACH) et moi nous mîmes au travail. Le script de RÉPULSION fut achevé en dix‑sept jours. »

Un travaille dans l’urgence est loin d’être la formule idéale. Parfois, il en est cependant ainsi de la part de certains producteurs, pressés de « monter une affaire », plutôt qu’un film.

Le travail dans l’urgence, méthodologie à la mode dans le cinéma d’auteur, est loin d’être recommandé. Mais il ne remet pas pour cela en cause la volonté de commande classique basée sur un genre, dans le cas de POLANSKI et BRACH, un film d’horreur. La commande aurait pu tout aussi bien porter sur le mélodrame, l’aventure, le policier ou encore de la comédie. Là où le danger menace c’est lorsque la commande est pervertie par le montage d’un « coup » pressenti par un producteur, c’est‑à‑dire lorsque ce dernier aspire à faire un film pour un comédien vedette aux exigences bien définies. C’est ce que dénonce avec véhémence la scénariste Suso CECCHI d’AMICO : « C’est le souverain mépris du film en tant que tel qui nous a entraînés à des œuvres sur mesure – pour TOGNAZZI, et pour SORDI – au détriment de l’histoire. »

Si l’acteur est indispensable au film l’histoire reste l’essentiel de toute l’architecture du scénario pour les scénaristes, à l’instar de Jean‑Loup DABADIE qui aime profondément les acteurs et en réclame la présence : « Je ne peux pas me lancer dans six mois d’écriture sans le soutien des acteurs. »

Lorsque l’histoire est écrite en fonction du comédien qui l’emporte sur elle le résultat final est souvent mineur. Par contre, il peut parfois advenir que le producteur sur une idée d’histoire commence par rechercher le comédien pour un personnage et partant de là, échafaude le projet. Ce schéma d’interaction a cours aussi à la télévision. Telle fut l’expérience du réalisateur Michel FAVART : « Au départ, le comédien Marc CHAPITEAUX a été contacté par Jean CAPIN, responsable sur Antenne 2 des fictions, qui lui a dit : « Vous êtes un garçon qui peut avoir un côté héros populaire, qu’est‑ce que vous aimeriez jouer ? » Ça c’est étonnant pour un comédien, ça n’arrive pas tous les jours. Il a dit « Je vais réfléchir » et comme il connaissait des gens dans l’édition qui lui ont conseillé Patrick BESSON, ils se sont vus et ils ont décidé de réfléchir sur un personnage de journaliste. BESSON a commencé à écrire plusieurs choses et là‑dessus il a vu a la télévision LA TRIBU DES VIEUX ENFANTS. Il a appelé Jean CAPIN, en lui disant : « J’ai vu un film que j’aime beaucoup, j’aimerais travailler avec le metteur en scène »; on a donc été mis en contact tous les deux et on s’est mis à travailler. »

Parcours osé de la part d’un producteur où indubitablement l’esprit d’équipe devient incitateur.

Certains refusent le compromis. Gérard BRACH estime pour sa part : « écrire pour les acteurs ne m’intéresse guère, ce n’est pas un service à leur rendre. Ce sont eux qui doivent devenir les personnages. En me mettant au service d’un comédien, j’aurais l’impression de le sentir au‑dessus de mon épaule, me dictant et pas content en plus »  et d’expliquer son refus en mettant en relief la notion péjorative de « plaire »; « Je n’aime pas, je ne souhaite pas écrire pour les acteurs définis. Si tu le fais, se glisse sournoisement ou franchement, le sentiment qu’il faut lui plaire, séduire cet acteur ou cette actrice. Or, il ne faut chercher à plaire à personne, surtout pas aux acteurs et encore moins à soi‑même. J’ai eu le privilège de réaliser un film avec Michel SIMON. Je l’avais écrit avant de le rencontrer et il n’a pas demandé que soit modifié quoi que ce soit. Il était en accord avec ce que je tente d’expliquer ici. En fait, s’il y a un sens dans lequel il est bon d’aller le plus loin possible, c’est de créer des personnages qui, paradoxalement, ne sont pas pour les acteurs. Mais ce sont eux qui, avec leur talent, doivent devenir les personnages. Je ne parle évidemment pas du système balourd du contre‑emploi aussi pernicieux, me semble‑t‑il, que celui de la complaisance. (…) D’ailleurs si je devais écrire pour une vedette homme ou femme, je ne saurais pas le faire. Je serais incapable d’écrire leur prochain film. Par contre je pense que je pourrais écrire un scénario dans lequel il ou elle pourrait jouer. Pour certain ou certaine il serait aimable envers le cinéma qu’ils sortent de temps en temps de la routine soporifique du succès programmé afin de participer à une seconde jeunesse cinématographique d’eux‑mêmes; audacieuse, insolente, inconfortable, périlleuse. »

Plaire. Si plaire est sous‑jacent à l’œuvre cinématographique, forcée, cette qualité entraîne obligatoirement l’effet pervers de la série. Le cinéma en est tout le contraire puisque chaque film est un prototype. Il n’y a que dans le parti pris étroit de la série (ANGELIQUE, ALIEN, TARZAN, LES CHARLOTS, RAMBO, LA BOOM, MAD MAX, ROCKY…et LES VISITEURS), que le principe même de reproduction/séduction est envisageable. Les producteurs savent les limites des ces fictions stratégies commerciales.

La télévision use de ce principe aux allures scientifiques, pressée par l’audimat et la part de marché : « Les gens de la production ont des critères précis par rapport à leur public, qu’ils sondent d’ailleurs très scientifiquement, presque comme pour la pub : régulièrement, Télé‑Images (société de production de séries télévisées) réunit des panels de téléspectateurs, choisit par un cabinet. Ces gens visionnent les épisodes et donnent leur avis. Des psychologues font alors la synthèse de ce qui a été dit, et à partir de là, la série est orientée, réajustée. Ainsi au début de chaque année, la production nous dit : « Attention pas d’épisode dans le style de celui‑ci » ou « Il faut que ce personnage revienne car les gens l’adorent. »

C’est le produit fini qui oriente le produit futur. Trouver et déterminer la séduction du spectateur et exploiter la veine jusqu’au tarissement obligé du gisement.

Le cinéma français a, durant une certaine période, conçu des films axés uniquement sur une vedette. Séries habilement déguisées au public, avec comme à la télévision, son héros récurrent. Le scénariste Jean HERMAN, l’appréhendait lorsqu’il travaillait sur les scénarios des films de BELMONDO, dans les années 80 : « Fabriquer un BELMONDO c’est fabriquer un produit, c’est un style de scénario tout à fait particulier qui s’appuie principalement sur du métier et sur des recettes. Le cas BELMONDO a été tout à fait exemplaire en France car le public allait au devant du produit et le produit au devant du public.(…) Pour le scénario, on partait sur une idée de base mais en cours de route d’autres personnages intervenaient – René CHÂTEAU, Gérard LEBOVICI -qui étaient les garants d’une constitution « Belmondienne » et qui intervenaient à chaque étape du scénario. On finissait par partir du schéma d’une cascade pour déterminer une séquence par mettre Rémy JULIENNE (cascadeur célèbre du cinéma français) avant les bœufs, si j’ose dire : le scénariste se trouve complétement acculé.(…) A l’époque de FLIC OU VOYOU, c’était encore viable, puis ça c’est dégradé : tout le monde entraîne tout le monde et la complaisance s’installe sur un air de pognon. Il n’y a plus qu’une chute dans les recettes qui puisse remettre les choses en question. »

Ce qui mit fin au « fond de commerce ». Le scénariste américain Dudley NICHOLS l’expliquait déjà en 1939 : « Le (…) pêché, c’est l’habitude de placer la vedette au‑dessus de l’histoire. La triste vérité, c’est qu’en fin de compte cela nuit à la vedette elle‑même. Les producteurs trouvent bien plus facile, c’est‑à‑dire que cela demande moins d’énergie et d’imagination, de créer un fonds de commerce pour les vedettes que de créer une marque déposée qui fera de bon films, vraiment intéressants, partout où on la verra. »

Si le scénario de commande est un confort pour le scénariste, il a aussi des limites. Celles de le transformer en « homme à tout faire » en témoigne le scénariste Jean FERRY  : « Je vous répondrais comme un écrivain dont j’ai oublié le nom : je n’ai pas de projets, je n’ai que des commandes. Le scénariste est un homme à tout faire. On m’appelle pour réécrire des scénarios mal fichus, rattraper des dialogues imprononçables… »

Celles de lui imposer des thèmes qui ne sont pas son univers : « Tant que je travaillais sur mes sujets, nous dit Nina COMPANEEZ, ça fonctionnait, dès le moment où il m’a fallu écrire à la commande, ce n’était plus possible. Je ne peux écrire que ce que j’invente. Quand je travaillais avec Michel DEVILLE (de 1961 à 1970 soit sept films ensemble), c’était de mon univers dont il s’agissait. »

D’une part, extrait de son univers, le scénariste ne retrouve pas toujours ses marques. D’autre part, Francis VEBER le souligne, il est un genre la comédie, qui demande un long travail de maturation dans le choix du sujet. Et la crainte est de ne jamais savoir à l’avance si l’idée de sujet du scénario à faire verra le jour en temps et en heure : « Pour ce qui me concerne, presque tous les scripts sont des scripts de commande. Et je peux même avoir des contrats en blanc : je dois livrer en telle année un scénario. Ce sont des contrats très angoissants (je ne suis jamais sûr d’avoir une idée justement cette année‑là). Je travaille dans un genre qui sécurise (les producteurs) : la comédie. »

Pour d’autre, tel Jacques AUDIARD, la commande atteint très vite ses limites. Celles d’un auteur frustré de n’être pas à l’origine du projet. Le principe adopté dans ces cas‑là ne peut être que celui du scénariste qui finira par se substituer au producteur : « Pendant un bon moment j’ai fait des scénarios de commande. Comme c’est un métier où, croit‑on, il y a pénurie, on vous demande de signer un contrat : soit une adaptation, soit un sujet original à développer. Très vite, j’ai éprouvé les limites de cette méthode par une très grande fatigue et j’ai eu le désir d’être à l’origine des projets. Aujourd’hui, c’est une condition sine qua non de mon attachement au projet. En général, c’est une prérogative de réalisateur, mais pour moi c’est un besoin. Je me suis donc mis à développer des projets personnels que j’ai essayé de vendre en ayant des attitudes de producteur : acheter des droits, les adapter et les vendre. Ce n’est pas l’aspect mercantile qui est intéressant, mais l’impossibilité où je suis de développer un sujet s’il ne m’appartient pas, si je n’en suis pas à l’origine. Tout ce que je fais en ce moment est régi par cela, même si parfois la position est dure à tenir. »

Le cas évoqué ici, n’est pas exceptionnel, surtout dans le cinéma américain. Si vous êtes vigilant aux génériques de leurs films, vous vous apercevrez, qu’il n’est pas rare que le nom du scénariste soit celui d’un des producteurs.

Le scénario de commande est une assurance pour le scénariste. Assurance économique dont l’inconvénient est de limiter par ailleurs sa créativité. Bien conçue par le producteur, la commande d’un scénario peut être une source de joie et déboucher sur des produits de très haut niveau. A condition qu’il puisse lui apporter son savoir‑faire, sa personnalité et son intelligence créatrice.