C. L’idéologie de l’auteur

1.Une notion typiquement française.

La « nouvelle vague » ose à la fin des années cinquante un nouveau dogme : l’auteur absolu du film n’est autre que le metteur en scène.

Notons en premier lieu que de tout temps le cinéma mondial a eu des metteurs en scène‑auteurs. La « nouvelle vague » n’a rien inventé. Le premier était MELIES, scénariste, metteur en scène et producteur. Dans une catégorie à part, GUITRY et PAGNOL, puis, COCTEAU, et enfin BRESSON. A Hollywood s’il ne fallait en citer qu’un, CHAPLIN, qui cumule à la fois la position d’auteur, metteur en scène, interprète et producteur.

Ils sont, et tous s’accordent à le dire, les éblouissantes exceptions qui confirment la règle.

La « nouvelle vague » inverse le processus, et fait de l’exception la généralité; et ça marche.

Les professionnels et les medias s’engouffrent, les yeux fermés dans cette aberration. Le metteur en scène, qu’il fallait aller chercher au bas de l’affiche à côté du monteur et du décorateur, se retrouve seul sous le titre, parfois même au‑dessus. Si la coquetterie vaniteuse s’était arrêtée là, c’eut été un moindre mal, mais un film de… devient la formule réflexe des spectateurs initiés. Et la majorité de la critique, finit par y perdre sa crédibilité de réflexion. Pour la petite histoire, souvenons‑nous des réactions étonnées et des réponses amusées que formulaient les grands « monstres » du cinéma américain, LANG, FORD, HAWKS, interviewés dans la série documentaire  produite par S. LABARTHE et J. BAZIN. Le journaliste les y élevait au rang d’auteur. Invariablement, ces grands metteurs en scène répondaient qu’ils ne prétendaient qu’à divertir en accomplissant leur travail comme un bon artisan.

Depuis maintenant plus de soixante ans, « le cinéma français vit sous la domination du metteur en scène‑auteur. »

En témoigne cet entretien entre deux grands metteurs en scène, Alain CORNEAU et Stephen FREARS, où ce dernier rejette cette notion d’auteur typiquement française : 

Alain CORNEAU– Pour nous, Français vous êtes un auteur…

Stephen FREARS – Non, non, je suis l’anti‑auteur ! (Rires)

Alain CORNEAU– Non, je crois quand même que vous êtes un auteur… (…) Pour nous Français, c’est typiquement un film d’auteur. Beaucoup de gens ici ont été totalement surpris d’apprendre que ce n’était pas vous qui l’aviez écrit, ni conçu… Que c’est un script que vous avez trouvé dans votre boîte à lettres…

Stephen FREARS- Celui des LES LIAISONS DANGEREUSES, aussi…

Alain CORNEAU– Et celui des LES ARNAQUEURS, ce n’est pas non plus une de vos idées, c’est une idée de Martin SCORSESE

Stephen FREARS- Oui. En fait, je crois que quelqu’un en a donné l’idée à SCORSESE

Alain CORNEAU– Vous ne vous êtes jamais dit : j’ai envie d’adapter Jim THOMPSON, j’ai envie de faire LES ARNAQUEURS ?

Stephen FREARS– Non, pas vraiment… » 

2.Qu’est‑ce que le cinéma d’auteur ?

« Un « film d’auteur », c’est en réalité un film où l’auteur parle de lui‑même, de son enfance, de ses premières amours, de ses idées, des ses fameux fantasmes. Parler à la première personne, c’est ça un film d’auteur, aujourd’hui.

Il y a donc un immense malentendu, et cette mauvaise interprétation du film d’auteur a amené vers la fin des années soixante dans l’esprit d’une chapelle du cinéma le mépris du scénario et des idées du genre : « le scénario à quoi ça sert ? », « le scénario je n’en ai pas besoin », « on va improviser », etc. D’où la disparition du scénariste et le manque « de scénario » dont tout le monde s’accorde à dire que souffre le cinéma français

Cette forme cinématographique, définie par Jean‑Claude CARRIÈRE, a abouti au mépris des scénaristes et à dévaloriser le scénario. Attitude suicidaire qui conduit inexorablement le cinéma au bord du gouffre économique. Très sensiblement, nous assistons à une chute considérable de la fréquentation, due à la bipolarisation du cinéma français. D’un côté un cinéma de spectacle qui se vulgarise de plus en plus au sens le plus péjoratif du terme, à l’exemple des films débouchant sur des grosses comédies «franchouillardes» et de l’autre, un cinéma d’auteur de plus en plus ésotérique.

Voilà l’alternative réductrice proposée aux spectateurs. La profession se lamente, et tire à boulets rouges sur la télévision à qui le cinéma a offert une autoroute vers le succès. Le cinéma narratif classique populaire de qualité qui faisait se bousculer régulièrement les spectateurs dans les salles, a quasiment disparu des écrans.

Si les spectateurs ne vont pas voir leurs films, à quoi cela peut‑il servir de connaître le nom des réalisateurs‑auteurs ? D’ailleurs le comportement du spectateur a changé : il ne va plus au cinéma, il va voir un film. « Je pense que le cinéma est né comme un art populaire, et le jour où il ne le sera plus, il mourra. En fait, si le cinéma continue à exister c’est parce que les gens vont toujours dans les salles pour vivre des moments d’émotion et non pas pour voir «l’œuvre» d’un auteur. »

Tout cela c’est du passé ? Non. Cette notion d’auteur a eu un si large écho démagogique, que son héritage n’est pas encore prêt de s’éteindre, au profit d’un retour au cinéma narratif classique, charpenté par de solides scénarios.

L’Avance sur Recettes, aide sélective du cinéma au cinéma, est un système qui privilégie encore de nos jours principalement le cinéma dit d’auteur. Malgré les efforts qui ont initialisé le principe placebo des deux collèges, l’un pour les premiers films, et le deuxième pour les autres films : « on peut s’aventurer sans risque à affirmer que le seul critère valide, à savoir la qualité intrinsèque du scénario, l’originalité de l’histoire et la valeur stylistique et technique du récit, ne fut presque jamais appliqué. (…) Le fonctionnement et la doctrine latente de cette institution d’aide sélective ont ainsi créé artificiellement un nouveau « genre » cinématographique, le « film d’avance » et provoqué un nouveau type de scénarios, exprimant le « vécu » et les fantasmes d’un individu, et/ou des idées contestataires diffuses. (…) On peut dire au vue de l’expérience globale de l’Avance sur Recettes, que toute doctrine et toute politique qui visent à abolir le scénario, à nier sa fonction créative, ou même à réduire son rôle à celui d’élément mineur de la mise en scène et de prétexte à l’expression par l’image, stérilisent non seulement le contenu, mais surtout la forme même des films. » inéma continue à exister c’est parce que les gens vont toujours dans les salles pour vivre des moments d’émotion et non pas pour voir «l’œuvre» d’un auteur. » 

Des propositions de modifications du système sont à l’étude. Celles qui n’envisageront pas le scénario dans son ensemble comme thèse prioritaire sont inexorablement vouées à l’échec.

3. Qui est l’auteur d’un film ?

Au départ, indiscutablement, l’auteur du film est l’auteur du scénario.

Puis lorsque le scénario passe entre les mains du metteur en scène, c’est lui qui prend autorité sur le film, par son interprétation du scénario, génératrice de mise en scène et sa faculté de réalisation. Il devient alors à son tour et définitivement l’auteur du film.

On ne peut pas oublier encore une fois que le scénario, proposition du récit de l’histoire et de la mise en scène, est l’outil de travail indispensable du metteur en scène. Acceptons, la proposition faite par le scénariste Ennio FLAIANO : « L’auteur du film devient le réalisateur »

Mais tous ne l’entendent pas de cette oreille : « Le scénariste n’est pas l’auteur du film, pas plus que le réalisateur. Leur collaboration produit cet être idéal qu’est l’auteur du film. Des deux, c’est évidemment le réalisateur qui paraît fondé à mettre sa signature en tête de la pellicule enregistrée, car c’est lui qui prend la responsabilité de ce monceau d’images que l’on a minutieusement fabriquées, sous sa direction, au studio. Ainsi, nous sommes bien d’accord : le film, en tant que matière à projeter, est le produit du travail du réalisateur : en tant qu’œuvre, il est le résultat de la collaboration avec le scénariste. A l’un la création abstraite, à l’autre la création concrète, avec bien entendu, toutes les interprétations que comporte pareille collaboration. »

Bien évidemment cela peut et doit toujours être modulé en fonction de certains scénaristes et de certains metteurs en scène. En fait, qu’est‑ce qui détermine la notion d’auteur d’un film ? « Revendiquer pour un auteur d’histoires, sans faire de « politique », la qualité d’auteur de films, est‑ce encore une provocation ? Quelquefois ; c’est selon ; question de niveau de talent. Le mariage scénariste/réalisateur (je les cite dans l’ordre chronologique) peut être celui de la carpe et du lapin, ou fonctionner d’après la célèbre recette du pâté d’alouette, avec une alouette pour un cheval. Tout est possible, à condition que la mayonnaise prenne : ainsi peut‑on concevoir des mariages homosexuels blancs mais heureux, l’un aimant les hommes et l’autre justement les femmes, ce qui n’empêche pas de bien s’entendre par ailleurs. Il en est de même du scénariste et du réalisateur, qui s’apportent l’un à l’autre du je ne sais quoi par contrat. »

Il ne suffit pas de mettre au générique un film de… pour faire croire que le metteur en scène en est exclusivement l’auteur. Jean‑Claude CARRIÈRE énonce poétiquement que le talent du metteur en scène est de « transformer la chenille (scénario) en papillon (film) », et ce sans omettre que le talent se définit par son absence. Parfois, on substitue le style au talent, ce qui ne satisfait nullement l’éminent scénariste italien Tonino GUERRA : « Récemment quelqu’un m’a soutenu que, s’agissant des grands metteurs en scène, l’auteur est le metteur en scène parce que c’est lui qui donne le style… »

Dans tous les cas la bataille est vaine. Suso CECCHI d’AMICO, défend son statut, et  dénonce la mauvaise foi de certains metteurs en scène : « Les metteurs en scène sont devenus des vedettes, des factotums. Considérez les déclarations fallacieuses de ROSSELLINI ou de FELLINI. Ils prétendaient travailler sans scénario ou presque pendant le tournage, sous l’inspiration du moment. Par conséquent tous les jeunes cinéastes se sont mis à marcher sur les mêmes traces avec les résultats catastrophiques, n’imaginant même pas que FELLINI et ROSSELLINI étaient des menteurs effrontés. Rien ou presque n’était vrai de ce qu’ils disaient. »

Qui malgré cette vérité si évidente, sa parole contre la leur diront certains, contesterait la qualité d’auteur de FELLINI et ROSSELLINI ?

La position de Claude SAUTET considéré, à juste titre, comme le meilleur « consultant en scénario » du cinéma français et non moins remarquable metteur en scène, est plus modulée : « … quoi que l’on fasse, quoi que l’on écrive, le metteur en scène est finalement le seul responsable du film, c’est lui qui le porte tout entier même s’il a été aidé à 90% – mais je fais tout de suite une restriction en disant que le travail de Jean-Loup DABADIE sur LES CHOSES DE LA VIE a été considérable. »

Il en est de même, mais avec plus de trivialité, de Jean AURENCHE, qui estime que le metteur en scène enclin à trop de respect pour le scénario, est quelqu’un qui n’est pas sûr ni de lui, ni du scénario, ni de son talent.

Les scénaristes non plus ne sont pas exemptés de flagorneries stupides, soumises à la notion d’auteur. « Un scénariste qui vous dit : « c’est moi l’auteur du film et je tiens à ce que l’on suive à la lettre mon scénario », c’est soit un con, soit quelqu’un qui n’a aucune idée du cinéma ou alors qui ne veut travailler qu’avec des illustrateurs timorés et sans talent, qui vont donc révéler le sien… Donc toujours un con. J’en ai connu un, Maurice DRUON Il envoyait les huissiers quand on changeait son texte. Un scénario cela doit être parfois bousculé, comme une fille à qui on fait l’amour. On nous a parfois trop de respectés et du coup on nous trahissait complétement. »

Francis VEBER, qui n’a jamais trouvé le metteur en scène à la mesure de ses scénarios, passa à la réalisation de ses propres scripts. Il n’accepte pas la notion « d’objet intermédiaire » à propos du scénario. Pour lui, il est déjà la mise en scène qui « imprime définitivement le film ». « Quand Yves ROBERT fait LE GRAND BLOND AVEC UNE CHAUSSURE NOIRE, c’est un film de moi, quand il fait UN ÉLÉPHANT ÇA TROMPE ENORMEMENT, c’est un film de DABADIE. Le style d’Yves ROBERT est relativement secondaire. Ma propre mise en scène est peut‑être moins propre, mais aboutit presque au même film : LES COMPÈRES, sont de la même veine que LE GRAND BLOND»

Si Francis VEBER n’a pas eu la chance de trouver le metteur en scène idoine, Gérard BRACH estime avoir découvert des metteurs en scène avec qui l’entente dans le travail est absolue. Cela le pousse à dire qu’il y a égalité entre metteur en scène et scénariste : « Pour moi, le scénariste est bien plus important que les acteurs. L’auteur, c’est le metteur en scène, mais je crois que lorsque vous travaillez en osmose avec lui, c’est vraiment à égalité d’importance. »

En règle générale, après la remise de son scénario, l’auteur disparaît. Adulé, le temps de l’écriture, il semble ne plus exister dés le tournage de son « œuvre », sous l’effet parfois de sa propre volonté. Le travail l’accapare ailleurs. Alors, « seul demeure, maître après Dieu, le réalisateur. Au studio, le scénariste a beau l’assister de ses suggestions, ses interventions n’auront pas le même poids que celles de l’auteur dramatique, au théâtre, auprès du metteur en scène. »

Citons encore l’exemple célèbre de PREVERT/CARNE. Jean FERRY raconte : « On m’avait confié le découpage des enfants du Paradis, que l’on était en train de tourner. J’y avais puisé de nouvelles raisons d’admirer Jacques PREVERT : c’est, sans le moindre doute, son meilleur scénario. Aussi, le film sorti, fis‑je éloge du scénariste, aux dépens du réalisateur. Cela me valut, au Flore, une algarade amicale de l’irascible CARNE. Jacques PREVERT était présent. Il confirma : « Marcel avait raison. C’est lui l’auteur, pas moi. » J’étais on ne peut plus ahuri. (…) J’ai beaucoup réfléchi à leur cas, et je me demande si PREVERT n’avait pas raison. »

Alors qu’il était convaincu du contraire. Le metteur en scène CARNE lui, a eu tout à y gagner, mais peut être aussi tout à y perdre. A la question : qui est l’auteur d’un film ? Pierre VERY, ne se lasse pas de redire son sentiment. « Dans cette sorte de promenade sentimentale à deux qu’est la « fabrication » d’un film (avec les inévitables scènes de ménage !), je persiste à déplorer que l’un des deux complices – le metteur en scène – croie devoir rejeter son coéquipier – l’écrivain – dés qu’il estime (présomptueusement, il se pourrait !…) qu’il l’a vidé de sa substance, et que cet ex‑associé ne saurait plus être désormais qu’un impedimenta – voire un ennemi. Cela sous le prétexte de « technique de la mise en scène ». (Comme s’il n’avait pas, aussi, une « technique de construction sur le papier », où l’écrivain admet bien – et même accepte avec reconnaissance – que le metteur en scène l’assiste !) Ce sont là mœurs de mante religieuse – laquelle, comme chacun sait, dévore son mâle après l’amour. »

Les plus grands metteurs en scène sont très souvent les plus reconnaissants du talent des scénaristes, tel Martin SCORSESE, qui quinze ans après la Palme d’Or à Cannes pour TAXI DRIVER, attribue la paternité de l’œuvre sans ambiguïté à son scénariste : « Pour la première fois depuis sa sortie, j’ai revu récemment TAXI DRIVER. C’était pour la présentation du film en vidéodisque… C’est vraiment intéressant… C’est sûr, c’est avant tout une œuvre de Paul (Paul SCHRADER) Mais nous ressentions tellement fort ce personnage de TRAVIS (Robert De NIRO)… (…) Jamais, au grand jamais, nous ne nous sommes affrontés pendant la concrétisation de ce projet mais il faut cependant être très clair parce que Paul (SCHRADER) est Paul… Ce film est vraiment l’œuvre de Paul SCHRADER, d’ailleurs je lui ai demandé aussi de faire une présentation sur le vidéodisque… »

3.Pouvoir et trahison de l’auteur.

Mis à part retirer sa signature d’un générique de film, quels peuvent être les recours d’un scénariste ?

Aucun, explique Francis VEBER à propos du film de Philippe De BROCA LE MAGNIFIQUE, film pour lequel il refusa de signer le scénario. « C’est le seul recours pour un auteur qui n’est pas d’accord avec le film tiré de son scénario. C’est une démarche complétement frustrante, mais il n’y en a pas d’autre. Les histoires de droit moral ne faisant pas le poids en face de cette lourde machine industrielle qu’est le film de plusieurs millions, je ne voie pas un scénariste qui, sous couvert de droit moral, se risquerait à empêcher la sortie d’un film; il ne reste plus qu’à retirer sa signature : c’est triste, d’autant plus triste que tout le monde s’en fout, la profession s’en fout, le public s’en fout; les auteurs sont vraiment les parents pauvres du cinéma. »

La même mésaventure arriva à Jean FERRY : « il nous reste un seul droit : celui de ne pas signer. Cela m’est arrivé avec LES NOCES VENITIENNES. On me demande un scénario, je l’écris. Le tournage a lieu en Italie. A la fin du film, je vais assister à une projection. Que vois‑je ? CAVALCANTI avait tourné une histoire complétement différente. J’ai retiré mon nom du générique. »

Mais il y a pire parfois. Ce qui arriva au scénariste Gore VIDAL. Il associa son nom au titre d’une part et au scénario d’autre part. Au titre, ce qui est en soi assez exceptionnel, afin de contribuer, étant donné sa grande notoriété d’auteur à fournir un atout supplémentaire au film, en l’accréditant du label d’œuvre à part entière. Ce qui fut loin d’être le cas à l’arrivée, malgré la présence de comédiens de renoms tels Malcom Mac DOWELL, Teresa Ann SAVOY, John GIELGUD et Peter O’TOOLE. « Je suis revenu au cinéma pour des choses qui auraient dues être sérieuses. Mon scénario de CALIGULA, a été massacré par Tinto BRASS et j’ai dû retirer mon nom (le film s’appelait GORE VIDAL’S CALIGULA), ce qui m’a coûté de l’argent. » Gore VIDAL loin d’être dupe mentionne à qui tout cela sert : « Toutes ces manipulations de générique servent la politique des auteurs. On finit par ne plus savoir qui a écrit quoi. C’est voulu par les producteurs et cela convient aux metteurs en scène qui prétendent être les créateurs. De plus, la Writers’ Guild est totalement corrompue. »

Les metteurs en scène aussi ont droit à l’erreur : celle de pas saisir totalement le contenu d’un scénario au point de passer carrément à côté du travail du scénariste. Gérard BRACH le revendique pour son scénario LE BON ROI DAGOBERT : « J’ai été sacrément déçu par le résultat. A mon avis, la responsabilité incombe à RISI. Il n’a rien compris à mon scénario qu’il a retravaillé… »

Billy WILDER à qui l’on demandait si un metteur en scène « devait être capable d’écrire », répondait toujours qu’il suffisait au metteur en scène de savoir lire d’abord. Souvenir d’une savoureuse expérience : « Je me souviens qu’à Berlin, dans un de mes premiers scénarios, j’avais glissé un petit gag (certes modeste) de mon cru. La scène se passait devant un dancing, on pouvait lire sur une pancarte que l’entrée serait interdite aux personnes sans souliers et sans cravate. Un portier se tenait sur le seuil et contrôlait la tenue des clients pour vérifier qu’ils portaient une cravate. Tout à coup arrivait un homme qui portait une longue et large barbe lui couvrant toute la poitrine. Le portier avait un mouvement de surprise mais ne laissait passer le client qu’après avoir soulevé sa barbe pour voir s’il portait vraiment une cravate. C’est en tout cas ainsi que j’avais décrit la scène. Lorsque je la vis au cinéma, elle avait changé. Le portier se tenait devant le dancing. Les clients arrivaient et il vérifiait leur tenue. Puis le barbu arrivait. Mais au lieu d’une grande barbe, il n’avait plus qu’une sorte de bouc, une petite barbe pointue à la Van DYCK. La plaisanterie était complétement gâchée. A la sortie de la première, furieux, je me précipitais sur le réalisateur pour lui faire des reproches. Il me regarda sans comprendre : « Comment ça ? Mais cette petite barbe était beaucoup plus élégante ! »

Le scénariste se sent trahi par le metteur en scène à des degrés différents. Cela s’avère presque toujours indispensable à l’œuvre. « Je pourrais tuer Bud (le metteur en scène Bud YORKIN) pour certaines choses qu’il a faites à ce scénario (TWICE IN A LIFETIME). Mais c’est la chose que vous devez accepter. Je dirais que 75% à 8O% du film est bon. Je hais les 20% qui restent. C’est la règle du jeu. Vous devez donner au réalisateur le droit d’interpréter. J’ai dit à Bud : « Je pourrais te tuer pour certains moments. » Il m’a répondu : « Certes, mais tu m’adore pour d’autres. » Il me donne des choses. Un réalisateur qui vous rendrait votre scénario tel que vous l’avez écrit serait ennuyeux. »

La trahison raisonnée es souvent saine pour le film.

Retirer son nom du générique, ou pas ? Quoiqu’il en soit, cela ne procure qu’une bien maigre consolation, en regard des problèmes que cette attitude autoritaire soulève dans la profession, surtout si vous n’appartenez pas au cénacle des scénaristes stars.